jeudi 3 septembre 2009

ECR : le jugement de Drummondville et la déchirure catholique

Le récent jugement défavorable aux parents dans le procès de Drummondville au sujet du caractère obligatoire du cours d'éthique et de culture religieuse fait mal. En plus de la défaite et du fait que le juge Jean-Guy Dubois n'estime pas que ce cours cause un préjudice grave aux parents, une douloureuse réalité accompagne le jugement rendu en Cour supérieure : le différent, loin d'opposer exclusivement l'État aux parents, est caractéristique d'une déchirure interne dans le catholicisme québécois.

Des positions pour et contre le cours d'éthique et de culture religieuse (ECR) se retrouvent au sein du catholicisme québécois. Des positions respectives qui suscitent de grandes suspicions et qui alimentent une crise de légitimité des autorités catholiques, créant de ce fait même, avec une particularité toute québécoise, une situation semblable à celles qui s'observent ailleurs dans le monde sur la question de l'intégrisme.

Évêques et théologien
Plusieurs parents n'ont toujours pas digéré la décision de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) de donner son aval au nouveau cours. À leurs yeux, il s'agit d'un acte de haute trahison. Plusieurs ne cachent pas leur dégoût d'un épiscopat québécois qu'ils considèrent comme faible, mou et déphasée de Rome.

En soi, la situation est ironique : en partant du principe qu'un bon catholique doit reconnaître la canonicité des positions romaines, on s'en prend à l'épiscopat, la quintessence de la représentation hiérarchique dans l'Église. Une manière de court-circuiter l'AECQ et de nier en quelque sorte la légitimité de l'épiscopat québécois et de sa prise de parole.

Ensuite, il est remarquable de voir avec quelle hargne le professeur Gilles Routhier, un prêtre théologien qui enseigne à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval, a été pris à partie suite à son intervention en tant que témoin expert lors du procès de Drummondville. Le professeur Routhier est longuement cité dans le jugement de Jean-Guy Dubois, qui a vu en lui un expert neutre qui « fait une présentation globale des enseignements de l'Église catholique et de la position de ses dirigeants démontrant que l'enseignement des autres religions ne brime pas la liberté de conscience de qui que ce soit ».

Tant pour les évêques que pour le professeur Routhier, leurs propos qui vont à l'encontre de ce que plusieurs parents opposés au cours aimeraient entendre provoquent un rejet en bloc de ces positions, un rejet qui va même, dans le cas du professeur Routhier, à une remise en cause de son appartenance catholique (!).

Crise au sein du catholicisme québécois
Les divisions que provoquent le cours d'éthique et de culture religieuse exacerbent davantage chez plusieurs parents catholiques le sentiment d'être ostracisés dans la société québécoise. La frustration qui en découle s'est cristallisée, suite à la décision du juge Dubois, autour de la question de la « catholicité » du jugement. La Coalition pour la liberté en éducation, principalement constituée de parents catholiques, a immédiatement jugé que « ce jugement est basé sur une interprétation de la religion catholique alors que nous réclamons le respect des droits de tous les citoyens, croyants comme athées ».

Cette déclaration de la CLE rappelle le discours, habile, qu'elle tient depuis le début de sa contestation. Elle sait en effet que d'avoir joué la carte catholique lui aurait probablement nui davantage qu'aidé auprès d'un vaste public. D'où le sentiment encore plus fort de frustration face à un jugement défavorable justifié par... des instances catholiques. La stratégie n'a pas fonctionné.

Entre un catholicisme qui n'existe plus et un catholicisme à venir encore en définition, l'enfantement est douloureux.

Le reflet de la planète catho
Face à ces questions, plusieurs Québécois ne comprennent pas leur Église. Il y a, d'une part, ceux qui disqualifient l'AECQ et tout point de vue catholique favorable au nouveau cours et qui provoquent une crise de légitimité de la prise de parole publique de l'épiscopat québécois, et, d'autre part, ceux qui disqualifient l'Église catholique dans son ensemble en jugeant sa vision du monde trop rétrograde.

Bref, au Québec par les temps qui courent, l'Église est à la fois trop molle et trop sévère.

Mais une telle situation n'est que le reflet d'une réalité plus vaste qui englobe depuis plusieurs mois déjà l'ensemble du catholicisme mondial. Elle s'inscrit dans le débat provoqué par la levée des excommunications de certains évêques de la Fraternité Saint-Pie-X par Rome au tournant de l'année. La vitalité de plusieurs groupes qualifiés d'intégristes étonne au fur et à mesure qu'ils osent élever la voix, tant en Amérique qu'en Europe. La planète catho prend conscience que l'héritage du Concile Vatican II est loin d'être une chose acquise, et que cet héritage est également soumis à une panoplie de lectures... dont celle de disqualifier, à tort ou à raison, la prise de parole d'instances catholiques bien en vue, au nom, ironiquement, du catholicisme.

2 commentaires:

  1. Il y aurait grand intérêt à pousser l'analyse sur ce sujet. Que de choses à dire! Sommairement, je me contenterai d'espérer un changement de cap de nos évêques en matière d'expression publique de la foi catholique au sein d'une population nominalement catholique. On s'est montré fort accomodant jusqu'ici, évitant les sujets conflictuels, l'heure vient où il faudra aller au front en matière d'affirmation catholique.

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  2. C'est un point intéressant qui est soulevé par rapport à l'aspect sur lequel le procès a été abordé. Il ne fait aucun doute qu'auprès de nombreux catholiques qui pourtant hésiteraient à appuyer des milieux intégristes, que l'épiscopat québécois ressemble plus à un groupe de gestionnaire de la décroissance ayant pour terme de liquider une institution dans un climat serein, sans conflit et complaisant afin de mener la tâche à bien avec le moins de remous possible. Le même cas s'observe dans la gestion de la crise à propos du cours d'éthique dont le contenu, objectivement très subjectif, s'approprie très mal le rôle d'un cursus obligatoire et neutre. Cette question a déjà été largement débattue, toutefois, on se retrouve maintenant avec un cours en quelque sorte sanctionné par l'épiscopat, non par son silence, mais par ses commentaires blessant pour le parent catholique moyen. C'est là que se trouve la déchirure à mon avis. Le tout, mélangé avec le désir d'obéissance et d'humilité d'un bon catholique mélangé avec un désir de vérité et de justice aussi associé aux valeurs chrétiennes est en train créer un cocktail dangereusement explosif dans notre province. Deux tangentes s'opposent actuellement chez les croyants et force est d'admettre que le cours n'y fera rien de bon. Certains objecteront probablement que ces tensions disparaîtront d'elle-même lorsque la génération ayant connu une sphère publique et scolaire teintée de christianisme. Malheureusement, ce genre de débat prend parfois racine plus profondément et se transmet d'une génération à l'autre. Une chose est sûre, encore une fois, l'épiscopat québécois envoie un son de cloche difficile à interpréter qui fait penser qu'il parle moins le Christ qu'il ne se ménage une survivance complaisante. Malheureusement, la multiplication de ces exemples en paroisse commence à donner un début de réponse pour de nombreux croyants, une réponse qui risque de séparer plus que d'unir.

    Au plaisir.

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